Aux prémices du XXIème siècle, il est nécessaire d’établir un lien entre les concepts dit d’économie classique et de développement durable. En effet, depuis la révolution industrielle débutée au XIXème siècle, les théories économiques ont de toute évidence imposé leurs doctrines ce qui a eu pour effet de limiter la réflexion des citoyens concernant l’impact de leur développement sur le monde de manière systémique. [1]
Comment prendre conscience du monde qui nous entoure en considérant les conséquences systémiques de nos actes et s’affranchir des dépendances les plus nuisibles pour les générations futures tout en maintenant un présent acceptable ? La réponse à cette question est fondamentale et déterminera également notre avenir.
Les principes financiers actuels et les enjeux géopolitiques exacerbés ne sont que les conséquences de l’orientation choisie au XIXème et XXème siècle pour notre développement à tous. Ainsi, les crises cycliques [2] amplifiées qui en résultent ne sont pas financières ou diplomatiques, elles sont avant tout sociétales.
De ce fait, l’homme conscient du XXIème siècle sera celui qui adoptera une approche globale des risques de son développement sur son milieu. Dans cette optique, depuis 1972 et le rapport du Club de Rome, [3] en passant par l’apparition de la définition officielle du terme en 1987 à travers le rapport Brundtland jusqu’à son adoption concrète en 1992 au sommet de Rio, le développement durable a toujours été présenté comme l’outil de référence à disposition des individus. En effet, cette doctrine semblait être le meilleur moyen pour appliquer les solutions adéquates afin d’obtenir un avenir maîtrisé. Or, aujourd’hui ce concept idéologique est plutôt un oxymore paralysant ou un pléonasme. Nous sommes assez loin des notions fondatrices du concept introduit par le rapport de l’IUCN publié en 1980. [4] À l’origine, il est question de penser à la protection de la nature dans le but de maintenir un développement social et économique pertinent.
L’homme est avant tout un produit de la nature. L’environnement est de ce fait une ressource qui permet bien de satisfaire les besoins humains. Cependant, l’objectif de la stratégie de durabilité est de conserver (dans le sens d’un processus dynamique) les ressources et les mécanismes de la biosphère pour supporter le développement humain. [5]
Les héritages économiques conceptuels prônés par l’école néoclassique sont en partie à l’origine de cette difficulté à concevoir une société qui satisfait simultanément aux attentes économiques, environnementales et sociétales. Cependant, il est trop facile de stigmatiser un coupable désigné à l’image du capitalisme. Ce système politico-économique s’est tout simplement imposé au fil de notre histoire et de nos cultures. « Nous avons juste répondu à des contraintes spécifiques de notre interaction avec l’environnement par des choix stratégiques. » explique Vincent Mignerot. L’introduction de cette notion d’économie dans la réflexion ne vise pas à déterminer s’il existe une alternative à ce modèle, cette interrogation est ancienne et reste encore débattue par l’ensemble des courants de pensée, mais plutôt de constater que c’est l’option qui a été choisie pour notre développement. En effet, la société de marché peut être critiquée sur le fait qu’elle est fondée sur l’intérêt personnel mais l’économie fait partie intégrante de nos sociétés et cette doctrine a été un des moteurs à l’origine du développement de nos sociétés occidentales depuis maintenant deux siècles. Bien qu’il ne faille pas occulter l’absence d’une véritable morale à l’encontre des nations ne présentant pas un intérêt économique déterminant et envers les régions en voie de développement à fort enjeux géopolitique. Ce modèle économique a participé à la modification de notre qualité de vie en termes de santé, d’éducation, de sécurité et à la réduction de la pauvreté. L’indice de développement humain est un indicateur qui comporte des défauts mais il permet malgré tout d’observer que depuis plus de 150 ans les sociétés ont toujours été portées par la croissance. Dans notre société, la notion d’économie a surement pris le pas sur la dimension humaine et spirituelle. Le modèle DICE du prix Nobel d’économie 2018 William Nordhaus qui vise à intégrer le changement climatique à l’analyse macroéconomique afin d’orienter les politiques à venir laisse imaginer que cette tendance sera d’ailleurs maintenue dans le futur.
Malheureusement en 2017, 15 000 scientifiques du monde entier ont alerté sur la dégradation sans précédent de l’environnement. Cette alerte qui se base sur l’analyse de neuf indicateurs mondiaux depuis 1960 montre que 8 indicateurs sur 9 sont au rouge pour la planète. [6] Or, dans le sillage des travaux de J. Diamond [7] sur l’effondrement des sociétés, on est en droit de se poser la question suivante (et le mot est faible) : Faut-il prendre l’effondrement de notre société industrielle au sérieux ? Car cette question est aujourd’hui plus que jamais d’actualité comme le rappelle P. Servigne et R. Stevens dans leur livre « Comment tout peut s’effondrer ». [8]
Cependant, pouvons-nous réellement blâmer les acteurs historiques coupables d’un tel constat ? Directement ou indirectement chacun de nous dans son rôle de producteur et de consommateur fait partie du mouvement et s’inscrit comme un protagoniste majeur de l’instabilité de notre écosystème. À l’image de S. Brand [9], R. Naam [10] ou D. Deutsch [11], certains fondent leurs espoirs sur les solutions qu’offrent la technologie, la géo-ingénierie ou l’innovation notamment à travers l’essor à venir des NBIC. [12]
Pourtant, l’énorme enjeu de la problématique enlève par principe tout aspect manichéen à la recherche de solutions. Il ne faut pas chercher à savoir qui a tort ou qui a raison entre le mouvement de l’optimisme technologique et les annonciateurs de l’effondrement car d’après Richard Buckminster Fuller, « Il n’existe pas de crise énergétique, de famine ou de crise environnementale. Il existe seulement une crise de l’ignorance. »
Dès lors, il est peut-être temps de définir une responsabilité sociétale individuelle tout en maintenant notre système actuel. Cette démarche apporterait une solution individualisée et modulable s’inscrivant dans le sillage des pensées de l’économiste T. Jackson [13] ou de l’agroéconomiste L. R. Brown [14] et de plus elle nous mettrait face à face avec le respect que nous devons à l’environnement. La responsabilité sociétale individuelle vise à être une véritable opportunité pour le bien-être des parties prenantes de notre écosystème ainsi qu’un moyen d’agir à notre échelle. Cette idée de responsabilité sociétale personnelle n’est ni une norme, ni une loi et encore moins une obligation. C’est avant tout un état d’esprit et un mouvement.
En d’autres termes, comme l’explique René de Lassus [15] en parlant de l’analyse transactionnelle, « Il ne faut pas chercher à être un despote éclairé qui dicterait aux humains les comportements à adopter pour évoluer vers le bonheur universel mais il vaut mieux opter pour un réalisme bien concret qui vise à agir au perfectionnement du monde à partir de l’endroit et du temps où nous nous trouvons ». C’est pour cela que l’orientation des forces devrait s’effectuer prioritairement vers son micro environnement personnel valorisant ainsi au maximum les compétences et la raison humaine de chacun. L’enjeu est de faire le lien entre les générations afin de confronter l’avenir et le savoir. Le but est d’informer, partager, échanger et construire ensemble autour de l’avenir de notre société.
Voilà maintenant plus de 25 ans que le développement durable s’est propagé sur la scène internationale. Ces années ont été le berceau de fabuleuses initiatives et innovations pour tenter de sensibiliser les individus afin d’atteindre une alternative économique soutenable. Malgré cet enthousiasme, la recherche d’une certaine résilience écologique a aussi apporté son lot de controverses et de dérives. De toute évidence, dans un monde de plus en plus interconnecté et complexe de fortes incompréhensions persistent et une certaine insouciance perdure.
Nous qui avons la chance d’être en mesure de comprendre les fondements même de l’organisation de nos sociétés, nous devons prendre conscience et agir en conséquence.
[1] J. de Rosnay, Le Macroscope . Vers une vision globale. Paris: Points, 2014.
[2] « Capitalisme & Crises Économiques — Nouveautés ». [En ligne]. Disponible sur: http://www.capitalisme-et-crise.info/fr/Bienvenue/Nouveaut%C3%A9s. [Consulté le: 02-janv-2018].
[3] D. H. Meadows et J. Randers, Limits to Growth. White River Junction, Vt: Chelsea Green Publishing Co, 2004.
[4] « World conservation strategy-IUCN.pdf ». .
[5] « World Conservation Strategy, IUCN 1980 : Un texte fondateur pour le développement durable ». [En ligne]. Disponible sur: http://23dd.fr/le-developpement-durable/iucn-1980-un-texte-fondateur. [Consulté le: 23-janv-2018].
[6] W. J. Ripple et al., « World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice », BioScience, vol. 67, no 12, p. 1026‑1028, déc. 2017.
[7] J. Diamond, J.-L. Fidel, et A. Botz, Effondrement: Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. Paris: Folio, 2009.
[8] P. Servigne, R. Stevens, et Y. Cochet, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. Paris: Le Seuil, 2015.
[9] S. Brand, Whole Earth Discipline: Why Dense Cities, Nuclear Power, Transgenic Crops, Restored Wildlands, and Geoengineering Are Necessary, Reprint edition. New York: Penguin Books, 2010.
[10] R. Naam, The Infinite Resource: The Power of Ideas on a Finite Planet, First Edition edition. Hanover N.H.: UPNE, 2013.
[11] D. Deutsch, The Beginning of Infinity: Explanations That Transform the World, Reprint edition. New York: Penguin Books, 2012.
[12] « A la découverte des “NBIC”, bien parties pour transformer l’économie mondiale », Atlantico.fr. [En ligne]. Disponible sur: http://www.atlantico.fr/decryptage/decouverte-nbic-bien-parties-pour-transformer-economie-mondiale-nicolas-bouzou-659884.html. [Consulté le: 02-janv-2018].
[13] T. Jackson, Prospérité sans croissance : Les fondations pour l’économie de demain, 2e éd. DE BOECK UNIVERSITE, 2017.
[14] L. Brown, N. Hulot, et P.-Y. Longaretti, Le plan B : Pour un pacte écologique mondial. Paris; Saint-Ismier, France: Calmann-Lévy, 2007.
[15] R. de Lassus, L’ANALYSE TRANSACTIONNELLE. Alleur: Marabout, 1999.