La science et la recherche
Ces derniers temps on a confondu la science et la recherche. Évidemment la science et la recherche ne sont pas deux activités étrangères l’une de l’autre mais elles ne se confondent pas. Ce que l’on appelle la science, c’est un corpus de connaissances bien établi qui sont les bonnes réponses à des questions bien posées. C’est pas des vérités absolues, c’est pas des vérités définitives mais on ne peut les contester que si on a des arguments scientifiques. On ne peut pas les contester avec son bon sens. Moi je pense que… C’est pas un argument suffisant. Par exemple, la question de la forme de la terre a été tranchée. Elle n’est pas plate, elle est plutôt ronde, mais elle n’est pas sphérique. La question est-ce que l’atome existe? Question qui a été posée pendant plus de deux milles années, elle a été tranchée en 1926 quand Jean Perrin a montré expérimentalement que l’atome existe. Cette question qui a été débattue pendant des millénaires a été tranchée. L’affaire est réglée. L’atome existe. Ensuite par exemple, est-ce que les espèces vivantes évoluent ? Oui elles évoluent. C’est réglé. Est-ce que l’univers observable est en expansion? C’est réglé. Est-ce que les ondes gravitationnelles existent? C’est réglé.
Donc on voit qu’il y a des connaissances qu’on a du mal à contester mais évidemment ce corpus qui constitue la science, il est par essence incomplet. C’est à dire que ces connaissances parce qu’elles ne sont pas complètes posent des questions dont nous ne connaissons pas les réponses et c’est pour cela que l’on fait de la recherche. Par exemple, l’atome existe mais il y a des particules élémentaires que nous ne connaissons pas. Par exemple, les neutrinos dont nous ne savons pas dire si elles sont identiques ou non à leurs antiparticules, donc nous faisons de la recherche. Est-ce qu’il existe une vie extraterrestre? On n’en sait rien, on fait des recherches. Donc il suffit que je donne ces exemples pour que l’on comprenne que le doute, le fait de savoir qu’on ne sait pas. Ce qui n’est pas la même chose d’ignorer. On sait ce que l’on sait et on sait ce que l’on ne sait pas, la recherche est donc activé par le doute.
Donc le doute c’est le moteur de la recherche et en même temps c’est son combustible. Parce qu’à mesure que l’on a des résultats, le doute se déplace et quand on confond la science et la recherche comme on l’a beaucoup fait. Le doute qui est consubstantiel à la recherche vient coloniser l’idée même de science et on présente la science comme étend le lieu permanent du doute mais ce n’est pas vrai, je ne connais pas de physiciens qui doutent de l’existence de l’atome, je ne connais pas d’astrophysiciens qui doutent de l’expansion de l’univers. Et donc là, il y a peut être un travail pédagogique à faire pour que cette confusion n’est plus lieu.
La modération
La science produit des connaissances qui ont de la valeur, mais elle produit aussi de l’incertitude. La science ne nous dit pas ce que nous devons faire des possibilités qu’elle nous donne. Il faut donc en discuter mais le problème c’est qu’il est très difficile d’en discuter parce que l’on observe une forme de décorrélation entre la militance et la compétence. Les gens militants, pour ou contre, ne sont pas forcément très compétents et les gens qui sont compétents et modérés en général s’expriment peu. Les gens modérés doivent s’engager sans modération pour que les débats aient lieu plutôt que cela soit des affrontements stériles avec des positions assez radicales.
Le débat
Débattre, verbe qui désigne ce qu’il faut faire pour ne pas se battre, donc débattre c’est discuter sans utiliser d’arguments d’autorité, c’est donc argumenter, c’est pratiquer ce que Bergson aurait appelé une politesse de l’esprit, ça peut prendre du temps, ça peut être très ennuyeux un vrai débat. Mais à la fin on sait ce pour quoi on est d’accord et ce sur quoi on est pas d’accord. Ce que l’on appelle débat aujourd’hui c’est au contraire une discussion très vive avec beaucoup d’invectives et donc débattre ça suppose que l’on accorde du temps à la discussion et que l’on comprenne qu’avoir un avis ce n’est pas la même chose que se forger un avis. Les gens qui ont un avis tranché s’estiment dédouanés de l’obligation d’apprendre à propos de ce sur quoi ils ont un avis tranché. par exemple, si je dis « je suis pour le nucléaire », je n’ai pas besoin de savoir ce que c’est le nucléaire. Si je dis « je suis contre le nucléaire » je n’ai pas besoin de savoir ce que c’est. le fait d’avoir un avis me permet d’ignorer le sujet alors que ça devrait être l’inverse. Et donc quand on décide de débattre on doit s’informer, apprendre, questionner, interpeler les experts et à la fin de ce travail qui est chronophage on est capable d’avoir un avis, de l’étayer et de le défendre.
Extrait de l’interview Thinkerview – Science et société, où va-t-on? – du 08 décembre 2021