Développement humain

Il ne faut pas sauver la planète

Le 03 septembre 2018, 200 personnalités d’Alain Delon à Patti Smith ont lancé un appel pour sauver la planète. [1] Pourtant ce n’est pas la planète qu’il faut chercher à sauver, c’est avant tout l’humanité et cette erreur de rhétorique a son importance… En effet, comme l’explique Pierre Barthélemy dans un article de son blog, [2] « La planète a connu des révolutions bien plus profondes, des changements climatiques drastiques, cinq grandes extinctions de masse, des hivers nucléaires sans nucléaire mais avec volcans, des perturbations orbitales, des bombardements de météorites ou d’astéroïdes, des glaciations incroyables, des dislocations de continents, et qu’elle s’en est toujours remise. La vie a toujours repris ses droits même lorsque, il y a 250 millions d’années, 96 % des espèces marines ont disparu ainsi que 70 % des vertébrés terrestres. »

D’ailleurs, Albert Jacquard souligne et précise cette vision dans son livre « Le compte à rebours a-t-il commencé ? », [3] dans lequel il précise que nous devrions effectivement plutôt nous préoccuper de notre biosphère, « notre domaine est une enveloppe occupant à peine un millième du volume total de la planète Terre. Cette faible proportion montre à quel point les phénomènes liés à la vie ont été et seront sans doute toujours marginaux dans l’aventure de la Terre. […] Ce qu’il faut sauver, ce n’est pas la planète elle-même, c’est le minuscule fragment d’univers où les vivants sont confinés, et surtout où des êtres sans pareil sont apparus, les humains. »  Dès lors, il nous incombe un rôle prépondérant dans le maintien d’une biosphère propice à la vie…mais encore faut-il pouvoir l’assumer et le vouloir.

Crier haut et fort que nous devons sauver planète affaiblit fortement la crédibilité et la puissance de notre engagement civique vis-à-vis de l’environnement car cette responsabilité que l’on veut nous faire porter n’est pas la bonne. « C’est interposer la planète entre nous et nos actions, comme pour les masquer. » explique Pierre Barthélémy.

L’allégorie de la grenouille stoïque et inconsciente du danger dans sa casserole frémissante a été reprise de multiples fois pour illustrer notre situation. Le fait d’insister sur le sauvetage de la planète nous tétanise davantage. Nous avons conscience du problème mais nous sommes incapables d’agir comme le précise Etienne Klein lors d’une intervention sur l’énergie, [4] « On est conscient du problème, mais on a aussi conscience de la terrible difficulté de résoudre ce problème. […] La conscience collective, bien que largement convaincu, de la nécessité d’inventer de nouveau comportement en matière de consommation d’énergie et à la fois paralysé et résolu. Elle est tétanisée par l’obstacle. Elle est hésitante quant à la nature et à l’ampleur de la transition à opérer et elle en vient à douter de ses propres capacités à agir. » Cet exemple illustre notre absence de réaction face à un des problèmes majeur pour notre développement.

Nous sommes aujourd’hui de toute évidence devant un paradoxe. Nous sommes à la fois au courant de la finitude de la planète mais aussi conscient de notre néfaste destinée face au danger d’exploiter inexorablement notre biosphère limitée. Nous agissons pourtant dans ce sens. Il est alors intéressant à ce stade de se poser la première question qui est de savoir s’il est véritablement nécessaire et légitime de vouloir à tout prix sauver notre biosphère ?

En effet, rien ne nous oblige à utiliser notre existence pour participer à cette tâche de pompier pour l’humanité. D’ailleurs, le pragmatisme de la résilience quotidienne face au risque supposé d’effondrement facilite la vie à bien des égards.  De toute évidence, un banquier de Goldman Sachs ne partagera pas du tout le même avis sur la question et sur le but de son existence qu’un militant écologique de GreenPeace. D’autres, à l’image de Yves Paccalet [5],  considèrent même avec une pointe de cynisme que l’extinction de l’espèce humaine est une finalité bénéfique.

D’un autre côté, les citoyens qui souhaitent agir aujourd’hui sont confrontés à deux points de blocage qui peuvent sembler insurmontables. D’une part, le schéma économique standard qui implique la recherche d’une concurrence pure et parfaite prédomine. Cette quête gangrène toutes les actions entreprises par les sociétés qui souhaitent s’impliquer dans une dynamique intègre pour la planète. Une entreprise va s’engager dans le respect de l’environnement seulement si elle y trouve un intérêt économique face à ses concurrents. Si l’intention de l’entreprise est purement vertueuse elle s’expose à une éventuelle perte de parts de marché. C’est un point de blocage économique. D’autre part, nous devons faire face à un certain cynisme des élites qui s’orientent vers une forme d’inaction et de « bunkerisation » de la richesse. Pour Bruno Latour le constat est d’ailleurs cinglant, d’après lui « Les super-riches ont renoncé à l’idée d’un monde commun. » Cette fois le point de blocage est moral.

Aujourd’hui plus que jamais, les problèmes économiques, sociaux, moraux ou existentiels que nous rencontrons donnent la possibilité à chacun d’exprimer et de défendre une conviction personnelle basée sur ses propres croyances, son histoire et son mode de vie. Toutes les solutions proposées aux innombrables problèmes seront forcément atypiques et individualisées ne permettant pas une cohésion stratégique à l’échelle mondiale.

Au final, notre conscience d’être humain [6] et notre responsabilité vis-à-vis des autres [7] sont les deux seuls moteurs pouvant justifier notre mobilisation pour tendre vers un présent bienveillant et viser un futur conciliant. À présent, partons du principe que nous souhaitons participer au sauvetage de l’humanité. La deuxième question que l’on se pose tous apparait, comment faire ?

Dans cette intention, il est intéressant de faire un petit rappel sur l’état de notre planète. En 1972, (actualisé en 2004) les auteurs du rapport Meadows « les limites à la croissance » [8] tentaient de mettre en garde sur les conséquences probables et futures de notre modèle de développement…Or, aujourd’hui, ce rapport subit la malédiction de Cassandre.

Pourtant les 3 conditions d’un dépassement sont réunies :

  1. Une croissance, une accélération ou un changement, en référence aux croissances exponentielles de l’économie, de la population et des consommations de ressource.
  2. Des limites ou une barrière à ce développement avec le capital fini des ressources de la Terre,
  3. Une erreur ou un retard pour la prise de conscience ou la mise en place des actions en lien avec l’inertie des politiques et les difficultés de mesures mondiales cohérentes.

Pablo Servigne revient d’ailleurs en détail sur cette notion d’effondrement à venir dans son livre « Comment tout peut s’effondrer ». [9]
De plus, le 1 Décembre 2017, la revue Bioscience a publié un article [10] pour présenter la suite du “World Scientists’ Warning to Humanity” paru en 1992. Il s’agit d’un manifeste réalisé par plusieurs milliers de scientifique qui montre que les humains sont en conflit avec la nature. Les auteurs ont déclaré que l’humanité pousse la terre au delà de ses limites. Sur les 20 dernières années, l’humanité n’a pas réussi à faire suffisamment d’effort pour résoudre les problèmes. Aujourd’hui, 8 indicateurs de suivi de la planète sur 9 sont dans le rouge.

Dès lors, que l’on soit convaincu par les risques d’effondrement ou plutôt par notre capacité à réagir face à cette problématique. Il ne fait aucun doute que la question n’est pas de savoir si l’effondrement va arriver mais plutôt quand ? Il est de ce fait plutôt souhaitable d’éviter de le subir brutalement pour ne pas vivre dans des conditions plutôt contraignantes et de pouvoir s’adapter au maximum par notre capacité de résilience… Bien sûr nous pouvons toujours essayer de miser sur les solutions technologiques à l’image des NBIC, de la géo-ingénierie ou du Trans humanisme, etc… qui peuvent être une solution dans l’avenir pour atténuer ce changement. Mais quoi que l’on fasse cet effondrement qui fait référence à notre confrontation avec les limites de la planète arrivera un jour.

Or, comme nous sommes dans l’incapacité de prévoir le futur, nous ne sommes pas en mesure de donner une date précise pour cet effondrement. Par contre, nous avons la capacité de la choisir par nos actes. Nos actions ne font que raccourcir ou allonger la durée de notre développement dans un monde fini. Ainsi, il ne faut pas chercher à savoir qui a tort ou qui a raison entre le mouvement de l’optimisme technologique et les annonciateurs de l’effondrement car d’après Richard Buckminster Fuller [11] « Il n’existe pas de crise énergétique, de famine ou de crise environnementale. Il existe seulement une crise de l’ignorance. ». De surcroît, l’énorme enjeu de la problématique enlève par principe tout aspect manichéen à la recherche de solutions. Les échanges entre les partisans de la croissance et les défenseurs de la décroissance [12] s’apparentent plus à un combat d’extrémistes et occulte malheureusement le véritable débat de fond qui reste le besoin de concilier notre existence et l’environnement. Il est donc plutôt préférable d’informer, d’éduquer et d’échanger autour de ces sujets pour essayer d’aboutir à des alternatives.

En définitive, même si des économistes comme Alain Grandjean propose des actions concrètes pour les individus et pour les politiques dans ses articles « Rester lucide mais avancer » [13] et « Les actions prioritaires ». [14] L’enjeu de notre développement et de notre coexistence a aussi une forte connotation métaphysique. [15] Le développement durable a même une portée philosophique par définition, voir religieuse. D’ailleurs à l’origine la responsabilité sociétale des entreprises provient d’un courant religieux. [16] De ce fait, prendre l’initiative de mobiliser son existence pour s’engager dans la défense de l’environnement revient à croire dans quelque chose qui nous guide et à défendre des convictions qui nous sont propres. Par conséquent, au vue de la situation complexe et systémique, personne n’est en mesure de vous dire quelles actions concrètes entreprendre personnellement pour préserver la planète. Toutes vos actions auront des conséquences sociales, environnementales ou économiques néfastes pour quelqu’un ou bénéfique pour vous et inversement.

De notre naissance à notre mort, de par notre activité, notre consommation et notre communication nous allons forcément avoir un impact sur notre entourage qui varie en fonction de notre zone d’influence. À minima nous pouvons alors essayer d’être conscient de nos choix et responsable de nos actes pour tendre vers un idéal social, économique et environnemental que nous considérons comme acceptable.

Mais il est aussi préférable de garder à l’esprit que nous avons tous une perception du monde qui nous est propre, [17] nous disposons tous d’un modèle du monde différent. La méthode PNL [18] met d’ailleurs en évidence la notion de position de perception. Le réel traverse trois filtres et trois mécanismes interprétatifs avant d’affecter notre cerveau. Donc avant de vouloir changer le monde dans sa globalité, commencez déjà par aimer le vôtre.

Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes. 

Gunther Anders / 1902-1992 


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/09/03/le-plus-grand-defi-de-l-histoire-de-l-humanite-l-appel-de-200-personnalites-pour-sauver-la-planete_5349380_3232.html

[2] P. Barthélémy, « Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver. C’est nous… », Passeur de sciences. [En ligne]. Disponible sur: http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2015/06/08/ce-nest-pas-la-planete-quil-faut-sauver-cest-nous/.

[3] A. Jacquard, Le compte à rebours a-t-il commencé ? Paris: Stock, 2009.

[4] Parenthèse Culture 22 – Etienne Klein – Énergie – https://www.youtube.com/watch?v=bFoSmr8TISg

[5] Y. Paccalet, L’humanité disparaîtra, bon débarras ! Paris: ARTHAUD, 2013.

[6] E.O. Wilson explains the meaning of human existence, in 6 minutes. – https://www.youtube.com/watch?v=qzQBFlFdRPk

[7] Revault d’Allonnes, Myriam. « Le développement durable : quels enjeux philosophiques ? », Vraiment durable, vol. 1, no. 1, 2012, pp. 33-40.

[8] D. H. Meadows et J. Randers, Limits to Growth. White River Junction, Vt: Chelsea Green Publishing Co, 2004.

[9] P. Servigne, R. Stevens, et Y. Cochet, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes. Paris: Le Seuil, 2015.

[10] World Scientists’ Warning to Humanity: A Second – BioScience. 2017;67(12):1026-1028. doi:10.1093/biosci/bix125- Noticehttps://academic.oup.com/bioscience/article/67/12/1026/4605229

[11] https://www.universalis.fr/encyclopedie/richard-buckminster-fuller/

[12] https://blogs.mediapart.fr/yann-kindo/blog/300815/croissance-decroissance-une-fausse-question/commentaires

[13] https://alaingrandjean.fr/2018/09/17/face-risque-deffondrement-rester-lucide-avancer/

[14] https://alaingrandjean.fr/2018/09/20/face-risque-deffondrement-22-actions-prioritaires/

[15] Burbage, Frank. Philosophie du développement durable. Enjeux critiques. Presses Universitaires de France, 2013

[16] https://www.cairn.info/innovation-politique–9782130590309-p-617.htm

[17] http://www.roquesci.com/la-realite-du-monde-et-notre-perception/

[18] http://www.institut-repere.com/PROGRAMMATION-NEURO-LINGUISTIQUE-PNL/nouvel-eclairage-positions-de-perception-pnl-partie1.html

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